Les gains et limites liés à l'utilisation de la vidéoscopie
Nous clôturons cet apport théorique par une revue de littérature, précisant le rôle positif de la vidéo dans la professionnalisation des enseignants mais aussi ses limites. Nous verrons quelques uns des avantages de la vidéo. Que ce soit par un renforcement de la confiance dans la relation avec son tuteur, la décentration de l’apprentissage, on ne regarde plus ce que l’enseignant réalise de façon convenable, mais on se pose davantage la question de ce qu’a produit l’enseignement en termes d’apprentissage chez l’élève ou d’interactions (élèves-élève ou enseignant –élève(s)).
Enfin, nous verrons qu’un certain nombre d’études rapportent qu’une des compétences permettant d’enseigner réside dans la capacité à reconnaître et à interpréter un événement scolaire pour ajuster son action à la situation de classe et que la vidéo peut jouer un rôle dans le développement de cette compétence majeure.
Roth (2007), nous indique qu'une des potentialités offerte par l’analyse de pratique vidéoscopée réside dans le fait que lors de la visualisation des pratiques enregistrées, l'enseignant, et davantage l’enseignant novice, est en mesure d'étudier sa pratique de manière rétrospective et d’y réfléchir, loin de l'implication émotionnelle qui se produit pendant et immédiatement après une séance, (sans évoquer le cas d'une observation par le tuteur en fond de classe qui rajoute encore de l'émotion).
Whitehead et Fitzgerald (2007) nous proposent eux de renforcer le sentiment de confiance dans la relation avec le tuteur par une méthode d’observation et d’analyse qui nous semble originale et prometteuse. Cette méthode consiste à placer le stagiaire devant un extrait vidéo de son tuteur. Les enseignants novices rapportent que cela a effectivement contribué à développer un sentiment de confiance dans la relation avec leur tuteur, mais que cela a aussi permis de normaliser les jugements et d’éliminer l’éventuelle verticalité qui peut exister entre un tuteur et « son » stagiaire.
Un autre avantage majeur, que la littérature revendique comme dérivant de l'utilisation de la vidéo dans la formation des enseignants, est qu'elle apporte la possibilité d’une prise de conscience des interactions en classe. Tripp et Rich (2012) rapportent, que la vidéo a cette facilité à présenter des actions réalisées en classe et dont l’enseignant n’a pas conscience avant le visionnage.
Sherin et Han (2004) ont mené une enquête auprès des enseignants qu’ils ont à rencontrer périodiquement et qui apportent avec eux des vidéos de leur propre pratique de classe, destinées à être visionnées collectivement. Dans les discussions qui ont suivi, Sherin et Han ont détecté, qu’après un laps de temps, le discours changeait de teneur. La focalisation se portant non plus sur l’enseignant mais sur les élèves. Sherin et Han (2004) ont aussi rapporté qu’une plateforme vidéo (VAST) a permis l’analyse de séances d'enseignements. L'objectif de cette plateforme était d'aider les enseignants débutants dans le développement de leur analyse. Les auteurs signalent une progression, dans le discours, sur les leçons observées. Parmi leurs participants, un glissement s’est opéré entre, au départ, une description de ce qui apparaissait à l’écran vers une contribution plus analytique, pour finir par une analyse davantage portée sur la pensée des élèves. Les auteurs concluent que la technologie vidéo facilite la réflexion des enseignants sur la façon dont ils peuvent influencer l'apprentissage des élèves.
Hopkins (2001) quant à lui rapporte des éléments sur l'utilisation de l'enregistrement vidéo qui nous paraissent intéressants mais, cette fois, pour analyser les interactions enseignant-élève. Ce travail a été réalisé à travers un cycle qui a impliqué des enseignants observant des enregistrements vidéo de leur propre pratique, avec un collègue de confiance, afin d’identifier celles pouvant faire l’objet d’une amélioration. Cet échange est à nouveau filmé. Les données indiquent que l'accent est mis, dans un premier temps, autour du comportement et de la gestion de classe ainsi que sur la longueur des temps de paroles enseignant et ceux accordés aux élèves. Dans un deuxième temps, l’analyse s’oriente vers la façon dont les élèves se sont conduits dans les leçons: comment ils ont travaillé en groupes, comment ils articulent leur réflexion et les discussions et surtout comment les enseignants pourraient intervenir dans l'intérêt de l'apprentissage des élèves.
Asada et Uosaki (2006) ont eux analysé le processus de la réflexion à partir de l'utilisation de la vidéo chez les enseignants stagiaires, à titre individuel. Leur hypothèse était que, si les professeurs stagiaires pouvaient identifier leurs domaines de difficulté, ils seraient alors plus proactifs et spécifieraient davantage leur besoin de formation auprès de leur tuteur. Après la capture vidéo de leur séance d’enseignement, les stagiaires ont donc été invités à les visionner et à identifier les difficultés qu'ils subissaient. Celles-ci ont constitué la base des discussions ultérieures avec leur tuteur respectif. Asada et Uosaki ont alors constaté que les enseignants stagiaires qu’ils suivaient ont commencé à s’engager dans un processus d’analyse de pratique réflexive à travers lequel la compréhension de leurs problèmes a été modifiée.
Borko et al. (2008) ont fait valoir, de leur recherche, que les discussions entre les tuteurs et les tutorés autour de la visualisation d’enregistrements vidéo des leçons peuvent soutenir la réflexion, l'analyse et l'examen des alternatives pédagogiques. Les tuteurs peuvent sélectionner des extraits, 'geler' les éléments de preuve dans les moments critiques et discuter de ce qui a été ou n'a pas été fait dans l'instant (Whitehead & Fitzgerald, 2007). Le résultat étant, selon eux, que les stagiaires sortent d’une vision superficielle pour entrer dans une dimension plus profonde de l’action et de ce qui la détermine. Ce qui a pour conséquence que le rôle du tuteur change dans ces sessions. Il n’est plus l’enseignant expérimenté ou expert mais davantage un guide, un facilitateur, visant à identifier les éléments clés, à des fins d’interprétation et d’analyse, voire de co-analyse, que ce soit entre pairs ou entre tuteurs et tutorés.
De nombreuses études s’accordent pour dire qu’une des compétences clé permettant d’enseigner réside dans la capacité à identifier et à interpréter les événements en situation de classe pour prendre des décisions d’enseignement basées sur ces interprétations (Gaudin, 2014).
Néanmoins, cette capacité à observer et à identifier des actes en situation de classe, pour donner un sens professionnel à ces événements, n’est pas chose aisée. Elle est définie par Blomberg, Stürmer, et Seidel (2011) dans ce qu’ils appellent « la vision professionnelle ».
Sherin et Van Es (2009) soulignent aussi l’intérêt majeur que peut avoir cette capacité à identifier et à interpréter des caractéristiques clés dans une situation de classe. Les enseignants débutants trouvent cette compétence difficile à acquérir (Rosaen et Al, 2010), ( Star et Strickland, 2008). Cependant, leur formation, pour répondre à cette complexité des environnements de classe et en vue d’identifier et d’interpréter ces évènements, est possible (Santagata, 2009). Ainsi, Rosaen et Al. (2010) ont suggéré que l’apprentissage à la vision professionnelle devait être une priorité dans la formation des enseignants débutants.
Sherin (2007) caractérise « la vision professionnelle » par deux aspects :
- " L’attention sélective " qui est assimilée à la capacité des enseignants à identifier certains évènements de la classe malgré leur multiplicité, leur simultanéité et leur complexité. Les enseignants novices, comme les enseignants expérimentés, manifestent des difficultés à identifier les évènements pertinents d’une vidéo de classe sans formation et guidage.
- "Le raisonnement " peut être triplement caractérisé. Il correspond, tout d’abord, à la capacité des enseignants à décrire précisément ce qu’ils ont pu préalablement identifier lors du visionnage de la vidéo. Il correspond ensuite à la capacité des enseignants à interpréter ce qu’ils ont pu identifier, en cherchant par exemple à y associer un jugement et à le justifier. Enfin, ce processus correspond à la capacité des enseignants à envisager les conséquences, voire des remédiations, à ce qu’ils ont pu préalablement identifier lors du visionnage de la vidéo ». (Gaudin, 2014)
Source : L’usage de la vidéoformation : vers quel transfert de la réflexivité ? VIFQUIN Jean-Marc
Limites de la vidéo :
Tout en reconnaissant les avantages de l'utilisation de la vidéo, nous avons également relevé qu’il existait certaines limites liées à cet outil, même si ces dernières sont peu nombreuses. En particulier, lorsqu’une seule caméra est utilisée pour capter l’intégralité d’une activité dans une salle de classe. Le spectateur ne peut alors pas regarder l'enseignant et les élèves en même temps. Le cadreur doit, en effet, faire des choix éditoriaux qui limitent inévitablement ce qui peut être vu. C'est cette limitation qui a conduit Gardner et McNally, en 1995, à faire valoir que la vidéo ne pourrait remplacer l'expérience in situ dans la formation des enseignants. Cette limitation n'est pas écartée par la simplicité de la technologie vidéo du fait de la possibilité technique d’utiliser plusieurs caméras et microphones dans la salle de classe, car, si cette simplicité existe, elle engendre une autre difficulté, celle du montage ultérieur qui devient plus conséquent et plus difficile du fait de la multiplication des caméras et des microphones utilisées.
Dyke, Harding et Lajeunesse (2006) ont signalé qu’un certain nombre d’enseignants ne serait pas d'accord avec l'observation médiée par la vidéo, invoquant des préoccupations telles que la confidentialité, le degré d'intrusion de l'équipement dans la salle de classe, leur point de vue sur l'incapacité à saisir de cette façon le direct et l'atmosphère d'une classe, et enfin le simple sentiment de malaise que générerait le simple fait d'être vu à l’écran.
En effet, dans quelle mesure la technologie vidéo produit-elle des sentiments de vulnérabilité chez les enseignants observés ? A ce jour, notons que cette interrogation n’est pas encore pleinement explorée par la recherche.
Une autre question particulièrement récurrente subsiste dans la littérature au sujet de la vidéoscopie : la durée de la leçon observée
La durée de la leçon observée :
La durée de l'observation de l'enseignement est encore aujourd'hui l'objet de débats (Marsh & Mitchell, 2014). La durée varie de deux minutes, pour Blomberg & al, (2011), alors que d’autres auteurs comme Zang & al. ( 2007) mettent en avant qu’il existe une pertinence à visionner une vidéo dans son intégralité. Néanmoins, la plupart des recherches indique une durée pouvant être comprise entre 2 et 7 minutes (Coles, 2013). Brophy (2004) fait remarquer que de longues périodes d'observation d'une leçon spécifique peuvent entraîner des segments redondants et sans rapports avec la focale retenue et donc non nécessaires. Il a également écrit que les formateurs d'enseignants qui cherchent à promouvoir l’apprentissage des stagiaires, par l'utilisation « d’incidents critiques », ont tendance à choisir de brefs extraits vidéo. Il semble, en définitive, qu’il n’est pas simple de définir si la durée a des effets significatifs sur « l’attention sélective » et « le raisonnement » des enseignants (Tripp & Rich, 2012b).
Nous aborderons lors de la prochaine phase (D3) l'éclairage d'un chercheur spécialiste du domaine.
Régi par la licence Creative Commons: Licence d'attribution en partage identique 4.0